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Euro-fédéralisme ou euro-impérialisme ?

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La construction européenne avance, dit-on, par crise. Ses pères fondateurs auraient pensé dès l’origine à un processus original où tout nouveau dispositif, incomplet et imparfait, conduirait fatalement à une crise, elle-même à l’origine d’un nouveau dispositif, conduisant in fine à « plus d’Europe »1. C’est ce processus qui est maintenant évoqué concernant l’Euro. Certes sa création ne pouvait être parfaite. Les critiques de l’époque évoquaient bien la difficulté d’une monnaie unique dans une zone non homogène2, où les déplacements de personnes sont beaucoup plus difficiles qu’aux Etats-Unis, pour des raisons linguistiques et culturelles (les européens sont plus attachés à leur terre que les américains). Où les performances économiques sont hétérogènes également. Qu’à cela ne tienne, disait-on alors : être contre l’Euro c’est être contre l’Europe, puisque l’Euro va permettre (par la grâce de la théorie sus-dite) plus d’Europe.

Certains nous disent aussi que les mesures en cours de négociation essentiellement entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, font avancer le fédéralisme européen. Et qu’il s’agissait de l’objectif initial. Plus d’Europe, cela voulait dire plus de fédéralisme, certes contre la volonté des peuples, mais, que voulez-vous ma bonne dame, il faut parfois ruser avec les peuples qui ne comprennent pas toujours où est leur intérêt bien compris.

Légende : Le "non" à la constitution, un exemple de "souveraineté assistée"

Ce qui se trame aujourd’hui est donc parfois présenté comme une étape vers le nirvana fédéraliste. Je suis en la matière agnostique : être ou ne pas être fédéraliste, mon opinion n’est pas très arrêtée. En revanche, j’ai le sentiment de moins en moins vague, que nos dirigeants nous font prendre des vessies pour des lanternes.

Il me semble que, dans une fédération, le président est élu et rend des comptes devant ses électeurs. Que les parlementaires sont ceux qui pèsent à nos yeux, que nous pouvons connaître et que nous élisons. Que le budget fédéral est significatif. Que la fédération incarne des valeurs communes, prend les décisions majeures (comme la politique étrangère, l’accès aux ressources stratégiques…) et délèguent aux Etats leur mise en œuvre et les décisions moins importantes. Que la fédération vise à améliorer la coopération entre les Etats, unis pour le meilleur et pour le pire…

Or ce que je suis obligé de constater aujourd’hui c’est que j’ai toujours du mal à comprendre les rôles du président de l’Union européenne, du président du Conseil, du président de la Commission, à me souvenir de leur nom, que je ne sais plus comment et pour qui j’ai voté aux européennes (c’était par liste régionale ?). Qu’il n’est pas question d’augmenter le budget européen, déjà maigrelet3 , ce qui se traduirait par une hausse des impôts pour financer je ne sais quoi. Que les Etats européens ne cessent de se faire concurrence, à commencer au plan fiscal : la stratégie anglaise de réduction du secteur public, vise-t-elle autre chose qu’à pouvoir attirer des entreprises séduites par une faible fiscalité, ce qu’avait fait l’Irlande ? Que la même Grande-Bretagne ne cesse de s’opposer aux mesures, qui s’imposent à l’évidence, de réglementation de la finance, car elles sont contraires à ses intérêts. Que l’Allemagne, convaincue de l’efficacité universelle de son modèle économique et industriel, prétend l’imposer à tous, sans reconnaître que ses excédents sont liés aux déficits des pays européens qui font le gros de ses exportations…Que la France doit bien sûr être vue symétriquement comme donneuse de leçon et peu fiable sur ses engagements budgétaires et ainsi de suite.

Dans ce contexte, et quelles que soient les bonnes raisons mises en avant4, les décisions de gestion budgétaire qui sont prises et/ou négociées actuellement m’interrogent. Il s’agit ni plus ni moins d’une mise sous tutelle des budgets nationaux, avec des procédures de plus en plus carrées (semestre européen, sanctions en cas de dépassement, …). Les autres grandes questions où la fédération serait légitime (politique énergétique, ressources stratégiques, harmonisation fiscale) ne sont pas au rendez-vous.

La nomination récente de « gestionnaires » non élus en Grèce (Lucas Papademos, ex gouverneur de la Banque centrale grecque), Italie (Mario Monti), la présence un peu excessive d’anciens de Goldman Sachs (Mario Monti et Mario Draghi à la BCE) me font irrémédiablement penser à la montée d’une organisation non pas fédérale mais impériale : l’empire envoie ses sbires pour régenter les provinces indisciplinées…

La tentation impériale a plusieurs fois traversé l’esprit de dirigeants européens de Charlemagne à Napoléon mais elle s’est toujours heurtée aux « gènes » européens. Pour le meilleur (on doit bien des innovations aux rivalités européennes) et pour le pire : l’empire offre de la stabilité politique et de la sécurité tant qu’il en a les moyens.

Quoiqu’il en soit, nous votons encore au sein des dites provinces. Et, si nous avons clairement besoin de nous épauler au niveau européen face à des puissances pas toujours cordiales, nous pouvons nous opposer à ce dessein impérial et proposer d’autres voies. Si les règles actuelles de gestion de l’Euro nous éloignent de la démocratie ce sont elles qu’il faut abandonner. C’est clairement le sujet qui est sur la table aujourd’hui.

Alain Grandjean

  1. C’est ainsi qu’on présente parfois la « méthode Monnet « : le contournement du politique par l’économique ou la théorie de l’engrenage. Voir par exemple http://www.notre-europe.eu/fr/axes/visions-deurope/travaux/publication/20-ans-daction-du-comite-jean-monnet-1955-1975/
  2. Les économistes parlent de « zone monétaire optimale », et ceux qui croient à cette théorie sont persuadés que l’Euro ne peut qu’exploser.
  3.  De l’ordre de 1% du PIB de l’UE, alors que les dépenses publiques fédérales aux Usa sont de l’ordre de 25% du PIB américain.
  4.  On comprend bien que les Allemands ne sont pas prêts  à payer les impôts des autres…

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