Le sommet du 26 octobre est présenté par ses participants comme celui qui sauve l’Euro. Il m’est toujours désagréable de critiquer des négociateurs, confrontés à une situation si difficile. A leur place, aurait-on fait mieux dans le jeu serré de contraintes qui semblent s’imposer ? Non, à mon avis, si l’on ne remet pas en cause précisément la contrainte qui a tout bloqué dans cette négociation.
Les occidentaux se sont scandalisés de la pratique aztèque des sacrifices humains. Les dieux aztèques, tout comme leurs bras armés, les prêtres, n’étaient que des brutes sanguinaires. Il me semble bien que le Dogme et ses grands prêtres (les zélateurs du monétarisme) n’ont rien à envier aux Aztèques.
Crédits image : La cité du Dieu perdu, Thorgal
Le Dogme c’est ce qu’il ne fallait pas toucher, c’est ce qui est au cœur de la naissance de l’Euro et que Guillaume Hannezo a rappelé dans sa note pour Terra Nova. C’est le monétarisme au nom de quoi les Etats européens ont abandonné leur souveraineté monétaire et tout recours à la Banque Centrale pour financer leur déficit. Qu’ils ont livré intégralement le pouvoir de création monétaire aux banques privées. Dans un contexte où simultanément le capitalisme a été dérégulé, le Dogme a donné aux banques tous les moyens de financer toutes les opérations les plus folles, de développer le « shadow banking[1] », de spéculer contre les dettes publiques européennes. Et cerise sur le gâteau de faire des cours de morale aux Etats mal gérés (tout en vendant l’arsenal permettant de ne pas payer d’impôts…). Ce sont des dealers qui se permettent d’accuser leurs victimes d’être des drogués…
On comprend que le Dogme soit considéré comme intouchable par tous les spécialistes qui sont a minima dépendants du secteur financier quand il ne les a pas franchement enrichis. La reconnaissance du ventre existe aussi dans cet univers.
Mais le Dogme ne se suffit pas de l’enrichissement colossal des acteurs financiers. Le Dogme a besoin de sang. L’accord européen va avoir deux conséquences désastreuses :
- les peuples européens vont être soumis à des politiques d’austérité qui vont leur faire perdre progressivement les bénéfices du contrat social qui jusqu’à présent faisait la spécificité de l’Europe, la région au monde la plus équilibrée socialement.
- ces politiques vont conduire à sacrifier les investissements et dépenses « écologiques » qui vont paraître comme un luxe byzantin dans une période de récession.
L’appel au financement des pays émergents va évidemment aggraver ces deux effets : comment limiter l’ouverture de nos marchés à leurs produits. Au moment précis où le protectionnisme européen est enfin considéré comme une nécessité et où les conséquences désastreuses du libre-échangisme mondial sont comprises, cette contrepartie est une catastrophe. Elle va accélérer le processus qu’il faut ralentir, celui de la désindustrialisation européenne. Elle va accélérer la destruction de l’environnement en intensifiant la concurrence internationale sans frein.
Le Dogme, s’il n’est terrassé très vite, aura la peau de l’Europe et de son âme. Parions cependant que nos concitoyens ont gardé encore assez de bon sens pour ne pas se transformer en malheureux aztèques.
Alain Grandjean
[1] Voir le livre de Marc Roche » Le capitalisme hors la loi » chez Albin Michel. Une initiation aux charmes feutres de la banque de l’ombre.